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Ernesto Novo, peintre citoyen, 100% artiste

27.04.2024
 Quand  j'ai  lu  leurs  histoires,  (...)  j'ai  pensé  au  sens  que  ça  avait  de  peindre  des  personnalités  historiques  qui  ont  œuvré  pour  la  paix 

Ernesto Novo est un peintre qui vit à Paris, et qui parcourt le monde. On le retrouve au quotidien face à un mur ou une toile, seul ou accompagné, POSCA ou pinceau dans la main gauche. Il s’imprègne du lieu et du moment pour dessiner un portrait, un animal ou une fresque plus abstraite, pour lui c’est l’instant qui compte, l’œuvre en train de se faire.

Il souhaite avant tout partager avec celui qui regarde, l’impliquer, le tenir en haleine, le faire participer. Ernesto aime l’interaction, la discussion et la réaction. S’enfermer dans un atelier pour créer n’est pas ce qu’il préfère, ce qu’il veut c’est peindre en musique lors de concerts et soirées, animer des battles de dessin avec ses amis artistes, participer à une jam entre potes, ou pour une cause qu’il soutient.

Il aime aussi réaliser des portraits pour les particuliers, griffonner sur la feuille où se trouvent les questions de son interview, remplir des carnets ou rehausser des photos. Ernesto peint, tout le temps, de la forme aux détails, avec son sourire, sa passion et son histoire.

Pour commencer, peux-tu nous en dire plus sur ton enfance ?

Mes parents sont arrivés dans les années 60 à Marseille en bateaux du Vietnam. C’est plusieurs semaines de voyage avec le mal de mer, beaucoup d’enfants et le traumatisme d’avoir tout perdu. Mon père était Français et né au Vietnam, et ma mère Vietnamienne. Déjà dans mon ADN, il y a de la mixité. Ils sont arrivés dans une maison insalubre en Indre-et-Loire, une sorte de bergerie, et je suis né en 1964.

On a ensuite déménagé à Nice, dans les cités des quartiers Nord. Mes parents étaient exploitants agricoles à la campagne au Vietnam, moi, j’ai grandi avec des Maghrébins, des Gitans, des Italiens, des Noirs, c’était ça mon univers. C’est donc pour ça qu’aujourd’hui j’ai un rapport particulier avec les jeune issus de l’immigration : quand ils me regardent, ils me voient comme un électron libre, ils sentent qu’on parle le même langage et que je les comprends. Ça me plaît de passer le relais à ces jeunes.

C’est une situation pas évidente, à ce moment-là tu dessines déjà ?

Quand on arrive en France, que l’on est 11 enfants, que l’on dort à sept par chambre et qu’on a juste le luxe de manger à notre faim, c’est particulier. On n’avait pas les moyens de multiplier par 10 ou 11 un cadeau. Et ce manque de moyens, on l’a comblé en dessinant.

C’est à dire que m’a grande sœur nous faisait dessiner quand elle nous gardait. Elle me faisait recopier des packagings de Nestlé où il y avait des petits oiseaux, des illustrations assez kitsch, et elle voyait que je recopiais assez bien. Du haut de mes cinq/six ans, je voyais que j’avais quelque chose dans les mains, mais je ne savais pas encore quoi.

Ça t’a paru évident que le dessin allait être ta vie ?

Non, c’était un refuge. Quand j’étais petit, j’étais très agité, une pile électrique, et je n’écoutais pas en classe. Je dessinais tout le temps, il n’y a que là que j’étais libre, où personne ne pouvait me commander.

À quel moment tu décides d’aller à la découverte d’autres cultures, et donc de voyager ?

En fait, quand j’étais étudiant aux Arts Décos de Nice, je bossais l’été pour me faire de l’argent. J’ai fait la plonge, manutentionnaire, et même gardien avec un chien. Puis je partais en vacances. Et un jour, à Glasgow, j’ai croisé des gens que je fréquentais aux Arts Décos et ils m’ont dit : « On dessine au sol à la craie, tu verras que l’on peut gagner un peu d’argent comme ça. » Et j’ai commencé à les aider, et ça gagnais bien !

Donc, à partir de là, j’ai pris des billets SNCF Interrail, qui te permettaient de prendre le train à volonté pendant un mois en Europe, et j’ai mélangé travail et voyage. On partait avec ma compagne de l’époque Virginie [Broquet, qui est illustratrice – ndlr], avec qui j’ai eu plus tard un fils, Diego.

On partait en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, et on dessinait. On dormait un coup dans une auberge de jeunesse, un coup à la gare, c’était pas tous les jours la fête ! Et un beau jour, on est même allés en Californie, peindre dans la rue à Venice beach, c’était assez dingue…

 Il  y  a  un  truc  magique  dans  l'apparition  de  l'image.... 

Tu te souviens de ce que vous dessiniez à l’époque ?

On dessinait ce qui marchait le plus, c’est à dire « réaliste ». On faisait des portraits surtout, La Joconde, mais aussi du Quattrocento italien, des scènes de batailles avec des armures. On savait que ça allait plaire au grand public, qui n’est pas forcément celui qui veut voir du Andy Warhol. Les gens veulent surtout voir quelqu’un qui a un savoir-faire. On bossait à la craie, c’était éphémère et les flics ne pouvaient rien nous dire. Pavement artist comme on dit, il y a d’ailleurs des festivals qui existent, c’est très impressionnant.

Donc quand je retournais aux Arts Décos, en septembre, j’avais pris du niveau car j’avais bossé tout l’été. J’avais les mains usées et lisses, mais j’avais acquis de la dextérité, donc ça m’a permis de beaucoup progresser. Pendant ces voyages, on était bien organisés, et curieux. On dessinait deux jours, ensuite on visitait les musées. Et aujourd’hui, je n’ai pas honte de le dire : on faisait la manche. Et c’est tout à notre honneur, parce que c’était pour la bonne cause : peindre et dessiner.

Ça m’a appris quelque chose de très important, et qui est valable par rapport à ce que je fais aujourd’hui comme les battles ou le live painting : je sais comment tenir en haleine le public. C’est dans la rue que j’ai compris que si je m’arrêtais de dessiner, pour boire un verre d’eau par exemple, les gens partaient.

Dès que je me mettais à l’ouvrage, et surtout quand je touchais les visages, les brillances, les gens revenaient regarder ce que je faisais, et l’argent arrivait aussi. Je l’ai vécu ! Les gens sont friands de regarder l’œuvre se faire, il y a un truc magique dans l’apparition de l’image. Quand le tableau est fini et accroché, ça pourrait être juste de la déco ! (Sourire.)

Une formation académique et une application directe dans la rue !

Oui, et quand je rencontre des jeunes je leur dis que j’ai grandi dans des quartiers difficiles, mais que la France te donne aussi le luxe de choisir ton métier. Tu as la chance grâce aux bourses de te faire financer tes études, par contre il faut travailler pour réussir, c’est ça le message. Je dis merci à ce pays qui nous a accueillis à bras ouverts.

Aujourd’hui j’ai la chance d’être devant toi pour une interview pour la marque POSCA, pour laquelle je bosse régulièrement, et de vivre de ma passion. Et ça, ça n’a pas de prix. Bon, je fais une parenthèse, je ne suis pas riche et je suis plus pique-assiette que Picasso ! (Rires.)

Par rapport aux artistes qui sont dans le giron de Posca, tu fais partis des rares qui ne sont pas passés par la culture graffiti…

Avant tout, je suis peintre. C’est aussi pour ça que je ne suis pas très à l’aise avec le terme street artist, je trouve qu’il ne me correspond pas vraiment. Je suis artiste peintre à 100%. Ça n’a pas toujours été ça, plus jeune j’ai été dessinateur infographiste de presse. Aujourd’hui j’interviens beaucoup dans la rue et je travaille avec les gens de la street culture, mais c’est vrai que je n’ai jamais fait de graffiti.

Tu y as été hermétique ?

Non, pas du tout ! En plein essor du graffiti et du hip-hop à la fin des années 80, j’en écoutais beaucoup, mais j’étais aux Arts Décos. J’apprenais les bases, l’histoire de l’art, l’architecture, les couleurs, j’étais dans un truc très académique. Grâce au système, j’ai eu une bourse car j’étais sérieux et j’ai pu faire les Arts Décos. Je voulais sortir de la rue et de la cité avec l’art que je pratiquais. Après 20 ans à vivre dans une cité, on n’a qu’une envie c’est de partir, de voyager, de connaître de nouvelles villes.

Aujourd’hui, j’ai énormément d’amis qui font partie de cette culture graffiti : Berthet One, Skio, Popay, Bault, Creez des GT… Ce sont des gens que je côtoient, avec qui on passe de grands moments de discussion sur l’art… Et aujourd’hui, on est beaucoup plus calmes, on a des enfants et des loyers, on n’est plus des chiens fous !

 Ces  histoires,  je  les  mets  en  lumière,  je  les  dépoussière,  je  montre  que  l'on  n'a  pas  tous  les  mêmes  références... 

Tu as évoqué ton travail de dessinateur de presse, tu peux revenir sur cette expérience ?

Quand je suis arrivé en 1990 à Paris, mon voisin du dessus, Nicolas Trautmann, était directeur artistique de magazines. Il m’a expliqué que des agences cherchaient des illustrateurs pour la presse, pour du dessin didactique à réaliser à la palette graphique. Une dépêche AFP tombait et nous on l’illustrait. Ça peut-être une cartographie quand un avion se scratche ou faire des camemberts de statistiques. À un moment, j’ai quand même pu mettre ma touche sur des portraits, et ça a plu. Au bout de 17 ans, j’ai saturé et je suis revenu à mes amours premiers que sont la peinture et l’illustration.

Tu étais sensibilisé à l’actualité, à des causes à cette époque ?

On baignait dans l’actualité toute la journée ! Il y avait la radio et la télé en continu dans l’open space, mais j’étais trop dedans pour prendre du recul et m’engager. Aujourd’hui, c’est autre chose, et je choisis où je m’engage, que ce soit pour la restitution des œuvres d’art africaines dispersées à l’étranger, le réchauffement climatique, le plastique, et surtout l’immigration et l’intégration.

J’ai eu l’occasion de rendre hommage aux tirailleurs sénégalais, et aux tirailleurs en général qu’ils soient Nord-Africains, Malgaches, Annamites, et je trouve que c’est comme de donner une leçon d’histoire, dont certaines ne se trouvent pas dans les livres, et c’est bien dommage. Ces histoires, je les mets en lumière, je les dépoussière, je montre que l’on n’a pas tous les mêmes références. Si je parle de Toussaint Louverture, le général haïtien qui a combattu Napoléon, tout le monde ne saura pas qui il est, alors que c’est quelqu’un de très important dans l’histoire de Haïti, qui est un pays francophone.

Comment se fait la transition entre infographiste en agence et artiste ?

Dans la sueur et la transpiration ! Je bossais en agence la semaine, je peignais dans ma cuisine la nuit et on avait monté un crew dans un garage avec des copains artistes où il se passait plein de choses, et quand j’arrivais le lundi au taf j’étais épuisé. Et à un moment, ça a commencé à marcher pour moi, donc j’ai décidé de lâcher mon boulot de salarié.

Et tu es devenu Ernesto Novo !

Oui, voilà ! Et comme j’avais un éventail de dessin assez large, c’est à dire du loisir créatif au live painting, peindre sur des murs ou sur toile, au pinceau, à la craie, au POSCA, j’ai toujours eu du boulot. Je ne suis pas dans une niche, alors je pense que c’est plus facile.

Pour parler plus précisément de ton travail, je voulais que tu reviennes sur certains de tes projets importants, dont les portraits de Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion…

L’été 2014, Nicolas Magat, dit Laoutec, c’est quelqu’un qui a cru en moi et qui m’a donné la possibilité de faire ces deux portraits en face de son atelier, sur le store métallique d’une vieille papeterie à Belleville, pour la Biennale Off. Ce sont deux femmes qui ont eu des vies dures et qui ont mené de nombreux combats. Quand j’ai lu leurs histoires, j’ai été très touché, et j’ai pensé au sens que ça avait de peindre des personnalités historiques qui ont œuvré pour la paix et pour des causes.

Techniquement, ça m’a pris une dizaine de jours. J’y allais le soir, car je bossais encore à plein temps. J’ai peint à l’acrylique et j’ai fait tout le graphisme et les détails au PC8K. Récemment, je voulais aller les repasser, puis finalement il y a une certaine patine du temps et je trouve que ça va bien. Et quand il y a eu l’inauguration des portraits, la famille de Gaulle est venue, et ils m’ont félicité. C’était inédit pour eux d’avoir un portrait dans la rue réalisé par un artiste, ils ont été très touchés.

Ça a été un tournant ces portraits ?

Oui, car quelques mois plus tard ces femmes ont été panthéonisées. D’ailleurs, pour la cérémonie au Panthéon, il y avait des portraits d’elles, plus Jean Zay et Pierre Brossolette, dessinés par Ernest Pignon-Ernest. C’est vraiment le pionnier du street art, il commence en 70 à coller des affiches engagées. C’est mon maître et en plus il vient de Nice, comme moi. Je suis très flatté d’avoir bossé sur cet événement, car j’ai eu la chance de réaliser moi-aussi ces quatre portraits pour la communication visuelles des Archives Nationales.

Pour ces portraits rue de tourtille, tu ne gagnes pas d’argent, c’est important qu’un artiste donne de son temps pour des causes ?

Disons que je fais un projet sur cinq qui ne sera pas payé, qui sera pour une cause que je soutiens. Qu’on le veuille ou pas, on a une certaine part de responsabilité par rapport aux images que l’on fait dans la rue et celles qui circulent sur les réseaux. Il y a quelques mois j’ai fait le portrait de Hismaël Diabley, qui est mort à l’âge de 15 ans à Paris en s’interposant dans une bagarre. La mairie du 11è m’a proposé de faire une fresque dans le square de la Roquette. Puis je suis revenu pour peindre en live pendant le concert qui était donné en son hommage. C’est un engagement très important pour moi.

En 2015, j’avais participé à #changerderegard au Musée de l’histoire de l’immigration. On était 15 artistes, et on a fait une fresque de 37 mètres dont le thème était la crise des migrants. Et pendant la réalisation, un mécène à donner de l’argent, donc on a pu être rémunérés alors que l’on s’était rendus disponibles pour faire ce projet gratuitement. C’est aussi comme ça que ça se passe.

Comme autre projet marquant, il y a les visages peints sur une HLM dans le 13è

J’ai réalisé les portraits des habitants qui habitent depuis plusieurs dizaine d’années à cet endroit, rue des moulins des prés dans le 13è. On a fait des photos de ceux qui le souhaitaient, ensuite je les ai dessinés. Et ça, ça a vraiment du sens. Quand chaque matin les habitants se relaient en bas de la nacelle pour t’apporter du café chaud et des gâteaux maison, il y a un véritable échange. Ils te présentent leurs enfants, ils posent devant leur fresque, ils sont devenus les héros de leur cité.

Ça me plaît de mettre en lumière des gens qui sont dans l’ombre, qu’ils soient très pauvres ou des personnes âgés, des gens issus de l’immigration… Et quand je discute avec eux, ça me rappelle des souvenirs, d’où viennent mes parents, et je comprends ce qu’ils disent.

Il y a une expression qui revient au fil des articles sur toi, c’est « peintre citoyen ». Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?

C’est savoir donner dans l’espace public des cadeaux. Souvent quand on intervient dans la rue, on se retrouve à des événements, on passe six jours sur un mur, on prend de notre temps, on partage notre savoir-faire, c’est ça être peintre citoyen.

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