Jean-Marie Compper signe Dtone depuis près de 30 ans. Un pseudo qui est devenu un tag, puis une signature, un nom d’artiste, de chanteur de raggamuffin, de peintre, d’amateur très éclairé. C’est devenu son style de vie, une marque de fabrique pour cet observateur-créateur qui ne cesse d’ajouter des éléments à son œuvre.
L’artiste juxtapose les toiles sur le mur, les activités, les vêtements qu’il porte : il aime utiliser ce terme, l’idée que rien ne se mélange, mais que tout converge.
DTONE est polyglotte, il aime les mots et leur signification, son langage pictural se veut émotionnel, ses vêtements sélectionnés ils doivent s’accorder. C’est son camouflage, pour se fondre, mais aussi pour se différencier, faire la différence, soit cultiver l’originalité pour mieux exister. Dans cette longue interview, il nous en dit plus sur son parcours, son style de vie, et les liserés noirs qui cernent ses couleurs.
DTONE expose à la galerie Jacques De Vos jusqu’au 31 décembre 2019 sa nouvelle série, qui est la suite de son exposition CAMOUFLAGE de 2016. L’artiste joue sur les plans et les transparence, allie le fond et la forme, et donne le choix au spectateur. Comme il le précise dans son interview, les trames de ses images sont réalisées avec des marqueurs POSCA noir, marron et blanc.
Ensuite, il ajoute les couleurs et réalise des contours nets et précis en noir. Il joue avec la lumière, celle qui est divine, pour mieux éclairer ses femmes troublante, ethnique et complexe, qu’il inscrit dans des vitraux modernes et originaux. Allez-y, en plus DTONE est régulièrement sur place.
Dès mon plus jeune âge. Ensuite j’ai évolué avec la bande dessinée. Adolescent je rencontre le graffiti et le tag. C’est aussi au niveau de la gestuelle et de la couleur que ça donne autre chose. Très vite, je veux m’approprier mon dessin, donc je le remets dans un cadre et je passe à la toile. Je juxtapose ces disciplines, je ne passe pas de l’une à l’autre.
Ce sont des influences new-yorkaises, et quand j’ai commencé le graffiti, il y avait une bible, un livre inévitable, qui était Spraycan Art, et SubwayArt. Plus jeune, il y avait Strange [magazine papier français plein de héros Marvel !] pour les effets et les décors. Et Picsou, pour les mains et la gestuelle, c’était un bon exemple pour dessiner des b-boys.
Dtone, dès le début j’ai commencé à l’écrire à l’envers, pour la simple et bonne raison que je le taguais en marchant. Quand tu tagues, tu veux te faire remarquer, quelqu’un qui tague à l’envers tu auras tendance à le retenir. Mon tag a évolué avec les modes, ensuite il y a ceux que l’on préfère, puis une personnalisation du lettrage. Mais la signature que j’ai aujourd’hui, je l’ai stabilisée.
Il y avait une boutique qui vendait des tee-shirts de super-héros à Saint-Michel, mais les tailles ne me convenaient pas. Je me suis dit que j’allais les faire moi-même. J’ai griffonné des maquettes sur papier, et j’allais les faire en transfert dans un petit bouclard vers Beaubourg. Petit à petit ça plaisait, et j’ai commencé à en vendre à mes potes, ensuite j’ai fait un book et j’ai démarché. J’aime bien les trucs personnalisés, de manière générale.
Bah, ils détonnaient ! Ils n’étaient pas dans le ton ! Je prenais des personnages qui n’étaient pas mis en avant, je voulais me les approprier et les transformer. Il y en a un que j’aimais beaucoup et que je mettais souvent sur mes t-shirts, c’est Luke Cage / Power Man, qui est d’ailleurs calqué sur Mohammed Ali. Et finalement, c’était déjà ma démarche, le fond au-delà de la forme. Si la forme me plaît, le fond ne fait que renforcer la forme. Je trouvais ça intéressant de le mettre en valeur, à ma manière. La forme c’est l’image, le fond c’est l’identité.
Le camouflage, c’est une introspection. Je pense que cette série est la plus personnelle. Ce que l’on perçoit, ce qu’il est en est, ce que l’on constate et ce que l’on décrypte, ce sont des paramètres qui se juxtaposent, et souvent on s’arrête à l’un, et pas à l’autre. Ce qui m’intéresse, c’est de proposer au visiteur d’aller plus loin que ce qu’il perçoit.
L’histoire du camouflage, c’est quoi ? En premier lieu ce qui nous entoure, la végétation et les animaux. Certaines grenouilles qui sont extrêmement voyantes avec des couleurs très vives, pourquoi ? Parce qu’elles sont dangereuses. Tant est si bien que des grenouilles inoffensives reprennent la même codification pour passer entre les mailles du filet, « faire croire que », donc elles sont très visibles. Et tu as aussi des insectes comme les phasmes qui sont invisibles. Ce sont deux camouflages totalement différents. Chez l’être humain, c’est la même chose.
J’aime le style, j’aime les dégaines, le fait d’être soi-même, de le cultiver. Je n’aime pas l’extravagance en tant que telle. J’aime l’originalité, à savoir la personnalisation des choses, ce qui est le contraire de la mode.
La mode, selon moi, c’est très différent, ça vous rend beau. Des vêtements qui vous rendent visibles, pour faire partie du groupe. Sociétalement, on peut dire camouflé.
Effectivement. Quand j’étais petit, mes parents m’achetaient des chaussures de sport, c’était de l’utilitaire. Il ne faut pas oublier que vu mon grand âge (sourire), quand j’étais au collège, les enfants avaient des chaussures de ville aux pieds.
C’est le hip-hop qui a fait sortir les baskets des terrains de sport. Quand le hip-hop s’est développé, notamment avec les magasins Ticaret, Alpha New York store, Surf Factory, ils avaient des chaussures de fou, mais à un certain prix. C’est une période où je m’habillais tout en noir, et vu que dans les années 90 la mode était les couleurs très flashys, ça détonnait. Bref, j’achetais des baskets en solde que je customisais à l’acrylique, et j’avais toujours un POSCA dans la poche pour faire des retouches s’il y avait une petite craquelure qui apparaissait dans la journée !
Et j’allais flamber avec mes chaussures le samedi après-midi aux Halles, et les gens hallucinaient car j’avais des pompes que personne n’avait.
Sur une veste, j’y appose des coudières et automatiquement une patte au col pour le fermer. J’ai une approche utilitaire du vêtement, ça doit être beau et fonctionnel. Plus jeune, j’étais dans le troc, donc il fallait chiner pour trouver des choses à échanger, donc bouger pour voir ailleurs.
Et si ça plaisait à quelqu’un, qu’il se rapprochait de moi et qu’il me demandait où j’avais eu telle ou telle pièce, j’inventais des marques, « une marque américaine ». Ensuite j’allais racheter le vêtement, je faisais les modifs et je le revendais. Le regard que l’on me renvoyait ça me donnait confiance, et quand on est jeune c’est important.
(Sourire.) Il y a deux facteurs : je suis astigmate et hypermétrope, et quand je suis fatigué je vois trouble. Mes potes, avec qui on se vanne depuis près de 30 ans, ne m’ont jamais épargné. Ils ont toujours aimé ce que je faisais, mais disaient souvent : « C’est pas nickel, c’est pas fini. » Un jour que je dessinais sur une toile, je me suis dit que j’allais masquer les imperfections avec des traits noirs. Quand je regarde mon dessin le soir, je le vois toujours net, alors que ma vue me lâche à cause de la fatigue.
J’ai commencé à séparer mes couleurs de ce cette façon-là. J’ai gardé cette technique, on me reconnaît souvent par rapport à ça. Comme ça ressemblait à des vitraux, j’ai commencé à travailler la transparence, pour que l’on ait réellement l’impression que ce soit du verre, avec un effet de lumière.
Plutôt la spiritualité. Souvent on associe le vitrail uniquement à la religion. Ce qui est intéressant, c’est que l’image nous fige dans une situation ou une époque, et on se réfère à cette image comme point de départ. Pourtant, souvent c’est beaucoup plus profond, voire même plus simple. Les vitraux, c’étaient les ouvertures à la lumière dans l’église.
Je me nourris de ma frustration… J’ai des millions d’idées à la seconde et je dois m’arrêter sur une pour la développer. En fin de compte j’ai gardé ça de la musique, je viens du reggae et du dance-hall, et je sais qu’une peinture c’est comme une chanson, à un moment il faut dire point final et next. Sinon tu ne fais qu’une toile, comme tu ne ferais qu’une seule chanson, que tu ne montres pas !
Cette série, Camouflage Evolution, je l’ai construite sur trois ans. Je réfléchis, tout se passe dans ma tête du début à la fin. Ensuite, je passe à la maquette donc je griffonne sur du papier et je passe à l’ordinateur. Troisième étape, je travaille sur la toile.
Cette fois, j’ai fait passer devant ce qui était souvent derrière. La transparence permet de voir le cheminement, les éléments, et comment ils sont construits sur mes toiles, sur un seul plan.
J’aime beaucoup marcher dans Paris et parfois tu passes devant un immeuble à la façade magnifique. Et un jour, une porte s’entrouvre et tu aperçois une dimension bien plus grande derrière que devant.
À 17 ans premier POSCA, j’y tenais comme à la prunelle de mes yeux, vu le prix que ça coûtait. (Sourire.) J’ai commencé à l’utiliser de plus en plus dans mes dessins, et je le mixais avec l’acrylique, au pinceau. Plus tard, j’ai utilisé uniquement trois couleurs : le marron, le noir et le blanc. Avec ces couleurs je fais mes traits de construction qui restent apparents sur mes toiles.
Quand j’ai rencontré l’équipe POSCA, j’ai pu avoir l’outil à disposition et en quantité, ça m’a permis d’aller plus loin. Tu te permets plus de choses, plus d’essais, donc tu arrives aussi à plus de résultats.
Un PC-3M blanc pour signer mes toiles, à l’envers !