Agathe Toman vit comme elle peint, en noir et blanc. Elle est entière et n’accorde que peu d’importance aux nuances qui font office (parfois) de compromis selon elle. Passionnée, elle admet le terme et c’est comme ça qu’elle le retranscrit sur toile, sur une photo ou directement sur le mur. Elle s’adapte en fonction des supports et on reconnait instantanément son style sombre et dense.
Traits jetés mais toujours agencés, à la limite du lugubre, ce qui contraste avec la jeune femme dynamique et pétillante qu’elle est dans la vraie vie. La couleur ne demande qu’à se libérer ?
Je ne parlerai pas de choix mais de quelque chose qui sort de moi naturellement. Ça n’est pas réfléchi de manière à vouloir plaire ou non, sinon ça signifierait que mon art n’est pas sincère, ce qui reviendrait à dire que ça n’en est pas, tout simplement. J’ai toujours dessiné en noir et blanc, et pour l’instant ça ne changera pas. Je ne dis pas que ça durera toujours. Mon art est en perpétuelle évolution, tout comme moi. C’est le prolongement de ce que je suis. Je vois le monde en noir et blanc, mais ma vision sera certainement amenée à évoluer.
À la question « Est-ce que je me vois devenir la Soulages féminin ? » je répondrai que je ne fais rien, dans ma vie ou dans mon travail, dans le but de vouloir ressembler à quelqu’un. Je ne pense pas que suivre qui que ce soit est une bonne chose pour s’accomplir. Il y a des personnes que j’admire et qui m’inspire, que je connais ou pas, qui m’enrichissent, mais sans vouloir « être » eux ou leur ressembler.
Je ne me suis jamais dit en tant que fille que je devrais dessiner en rose ou en rouge, pour répondre de manière brute. Le domaine de l’art, je pense, ne souffre pas de la doctrine des genres. Tout comme je ne pense pas que cette couleur appartienne à quelqu’un, ou quelque chose. Je travaille avec le noir et blanc depuis toujours, et je compte continuer à ma manière.
Je n’y suis jamais venue, donc je ne pourrai pas y « revenir ». Il n’est absolument pas exclu que j’y vienne un jour. C’est possible que j’ajoute une couleur, plusieurs, ou même que j’arrête le noir. À partir du moment où ça sera en accord avec ce que je veux transmettre et créer, je le ferai. Je fonctionne par cycles, plus ou moins déterminant et identifiable. Et ces cycles sont imprévisibles.
Je ne suis pas d’accord avec ça. Mon dessin n’est pas macabre sous prétexte que je travaille avec le noir. Beaucoup de personnes voient le côté sombre, sans y voir la lumière qu’il fait ressortir. Comme une photographie passée en noir et blanc, les lumières qui en ressortent sont bien plus puissantes et lumineuses.
Certes, certaines de mes œuvres sont empruntes de mélancolie, de tristesse ou même évoque la mort. Mais mon univers n’en est pas pour autant macabre. J’évoque, de manière toujours très indirecte, l’amour, le manque, la trahison, la passion. Ces sentiments ne sont pas forcément heureux, mais pas pour autant macabres, ils font partie de la vie.
Pour ce qui est du Sud-Ouest, le « fluo-flash » dont tu parles est révolu depuis plusieurs années, je n’y suis pas confrontée depuis que je suis descendue de Paris, il y a sept ans. À part peut-être en juillet/août quand les touristes sont là.
Je parle de manière très générale. Nous appréhendons et vivons des événements et des émotions fortes. Et comme tout le monde j’ai un passé et une histoire qui se construisent chaque jour. Je ressens et vis chaque moment très intensément, ce qui peut être vu comme une faiblesse. C’est aujourd’hui ma plus grande source d’inspiration, intarissable, et mon art canalise ces émotions et en guérit d’autres.
Je suis forcée d’admettre que oui. On m’a souvent reprochée de manquer de nuances, et c’est vrai. Je suis une personne passionnée, j’ai peu de limites, dans le bon et le mauvais.
Je travaille tous les jours, je dessine, je peins et j’écris. Je ne fais pas de recherches, je ressens des choses. Grâce aux personnes que je rencontre, à ce qui m’entoure, à la musique, aux souvenirs qui ressurgissent, aux livres, aux paysages que je découvre.
Travailler pour soi demande de la discipline. Et plus je dessine, plus je crée, plus mon inspiration doit être nourrie. Des idées viennent en moi, et j’ai besoin de passer du temps seule, beaucoup de temps, simplement afin d’écouter ce qui se passe en moi, et arriver à le retranscrire. En termes « d’idées fixes », je parlais plus d’obsessions, certaines sont récurrentes dans mes dessins.
(Rires.) C’est juste une anecdote traumatisante de la guerre entre ma prof de CP et moi – je blague pour le « traumatisant », bien entendu. C’est comme faire écrire un gaucher de la main droite ; il essayera, mais quoiqu’il arrive il ne deviendra pas droitier, c’est en lui.
Il m’est impossible de dessiner ou d’écrire en tenant mon crayon d’une manière conventionnelle. Et après tout, je ne vois vraiment pas le problème.
Je ne vois pas pourquoi nous devrions être de telle ou telle manière pour faire plaisir, ou pour entrer dans un certain cadre. Surtout si ça va à l’encontre de ce que nous sommes.
Tout comme il ne servira à rien de forcer un enfant à faire une école de médecine si c’est un artiste qui veut faire de la peinture. Ça ne fera seulement que le ralentir.